la transsubstantiation des terrils | une recherche en devenir avec Stevie Ango




mouchoir de poche composite de débris de terrils et anciens charbonnages,
glanés durant le travail de différentes pièces pour la réalisation d'un costume de terrain






Lorsque Andres Serrano a manipulé les fluides corporels et statues mercantiles du fils de l’homme pour hybrider piss et Christ (Immersion : Piss Christ), les supputations du puritanisme américain sur ses intentions omettent généralement de soulever la dialogique intrinsèque au crucifix et à l’urine. Au point culminant des mémoires de la passion, l'eucharistie, pieux et pêcheurs absorbent par l'hostie et le vin tout l’être du sauveur, ses flancs et la coagulation aqueuse inondée par le coeur, et ce, par le basculement irrévocable des substances, soit, la transsubstantiation. La transsubstantiation, c’est le cloaque et la félicité, les bassesses de la chair et le miracle sacro-chimique d’un état substantiellement autre que ses prérequis organiques. Le corps concret partage des circulations d’influences réciproques entre ses substrats (entendre selon différents domaines ; Substance considérée comme support des accidents, des attributs ou encore Matériau destiné à recevoir l'impression d'un circuit ou les divers composants de ce circuit ; de Substantrum comme Base, fondement d'une action, d'un phénomène, d'une réalité. Tout support. « Étendre sous »), et ses terrains d’interactions. Si le sang est composé à plus de cinquante pourcents de plasma, sa souche verra néanmoins détectable pendant six heures l’ingestion du vin de messe dans ses composants (et durant une journée dans l’urine du servant d’autel).

Ce qui fait la réminiscence et conscience globale de l’objet Christique (et je parle bien uniquement de la figure plastique du crucifix, il ne s’agit pas d’une réflexion sur l’eucharistie-même), dans le dispositif où les hommes l’ont porté, c’est l’état cyclique de transsubstantiation par la parole sacrée et par les grouillements des circuits d’alimentation des tissus musculaires. Ce phénomène, l’entrelacement du saint et du très-bas dans l’expérience des formes, n’est pas propre à l’objet de culte, bien que toujours propre à cette relation entre les corps et l’histoire : l’ensemble du paysage industriel en témoigne. C’est le cas des terrils, négatifs de collines de charbon de terre, positif tronqué de soustraction, basculement ici de la substance du tout-organique à de nouvelles sculptures dormantes de main d’homme, ayant drainé tout le combustible des sols. Là où ces combustibles s’oxydent, on parle alors de drainages miniers acides. Le substrat préambule à l’érection du terril, le minerai, coexiste avec des galeries de fluides d’alimentation : lors de son excavation, son contact au dehors et aux entreprises humaines acidifie ces dits-fluides, qui s’écoulent et reviennent aux cieux. On parle de minerai, mais on parle de scorie, le solide issu de la fusion, la chair palpitante de l’exploitation minière au terme viscéral corporel, où l’excorciation de la fertilité du mont en devenir s’escare par le travail manuel pour les édifices en fonte qui hébergent les corps dépendants aux substances. Mais la transsubstantiation des terrils, c’est la symbolique sacrée du passage du cloaque à la félicité, c’est l’édifice par la soustraction, le plein latent du sous-terrain devenu montagne, l’« Étendre sous » devenu le tendre à s’élever, et ce, dans tout le très bas de l’intervention industrielle.

Si l’objet de culte a vu sa perpétuité dans les réciprocités substantielles des hommes et d’un état donné du terrain qu’il habite, sa mise en circulation au même titre que la circulation des fluides n’est pas son unique manifestation formelle. L’iconographie du terril, dans ses conditions d’émergence bien que édifice statique et hors des circuits d’échanges, se peut comme manifestation du principe de transsubstantiation, par l’émulation de la mainmise de la matière au dogme humain pour la pérennité du sacre.





remerciements à Stevie Ango et Yaël Girard